jeudi 26 septembre 2013

Fissions, Romain Verger

 

Quatrième de couverture :
« Tu m’avais dit marions-nous le 21 juin, au solstice d’été. C’est le jour le plus long. À Rochecreuse, à la montagne, où le soleil consume longtemps les cimes. »
Dans un face à face avec l’écriture, un homme se remémore sa nuit de noces, en suit le cours jusqu’à son apothéose tragique.
Avec ce quatrième roman qui mêle de nombreux motifs filmiques et littéraires et qui emprunte tour à tour aux registres du fantastique, du grotesque et du thriller, Romain Verger signe le récit exalté et obsédant d’une inexorable désintégration.

Mon avis :
"Qu'ont-ils fait de nous, Noëline, qu'ont-ils fait de toi ? Peut-on mieux dévoiler l'amour à ceux qui s'y destinent qu'en les séparant comme on tranche les siamois, en taillant dans la chair et brisant l'os iliaque, dans le vif des deux, en dédoublant le mal, en répliquant la nuit ? Pour te retrouver, te voir, je suis du bout des doigts les nouveaux traits de mon visage, cette page de braille qu'est devenue ma face : arêtes, séracs, fissures, escarpes, l'exact calque en trois dimensions de ce pays montagneux dans les plis contractés duquel a couvé notre union". 

C'est par ces mots que commence le texte de Romain Verger. Autant vous dire que j'ai rapidement compris que ce livre allait être particulier, et qu'il s'agirait peut-être même d'une lecture un peu éprouvante (oui, l'idée de la chair, des os, la description du visage ... ce ne sont pas des choses qui me font rêver). En même temps, un tel commencement amène aussitôt quelques questions : mais que s'est-il passé pour qu'il soit ainsi ? Pourquoi est-ce qu'il parle de chose comme des siamois, du mal  ?  Et c'est poussée par cette curiosité que j'ai poursuivi le livre. 

Le narrateur est un jeune homme, ancien écrivain, devenu hypocondriaque le jour où un de ses amis se serait suicidé lors d'une soirée. Il revient au moment où il a rencontré cette Noéline, sa future femme, pour le meilleur (s'il y en), mais surtout pour le pire. Il a connu Noéline grâce à un site de rencontre, et rapidement ils décident de se marier. Le mariage aura lieu à Rochecreuse, là où Noéline a une propriété familiale. Avant de se marier, ils décident d'y passer quelques temps avec un couple d'amis du narrateur : Marie et Simon. La mère de Noéline est aussi présente. Plus on se rapproche du jour du mariage, plus Noéline devient distante, passant beaucoup de temps dans sa chambre " son mal-être, détaché des personnes, semblait sans fond et sans fondement, mélancolie sans partage où elle sombrait chaque jour un peu plus" : l'atmosphère n'est pas des plus agréables. Ajoutons à cela une famille étrange, avec une mère qui n'hésite pas à commander un bouc pour le repas de noces, un bouc vivant auquel sa fille devra trancher la gorge, et tous semblent avoir une particularité physique : la laideur, leurs visages sont comme déformés. Puis, vient le jour du mariage, Noéline n'en finira pas de pleurer et de crier, se faufilant dans leur chambre à peine rentrés. Les choses iront de mal en pis, jusqu'à comprendre ces quelques lignes de départ que j'ai citées plus haut. D'ailleurs, cette phrase, suite immédiate de ces quelques lignes  "Il ne nous aura guère fallu une vie entière pour qu'à l'image de ces couples que de longues années de vie commune façonnent l'un en miroir de l'autre, nous en venions à nous confondre" trouve une nouvelle résonance à la lumière des dernières pages du livre.


Ce livre est dérangeant. Il en émane quelque chose de presque malsain. J'ai été assez mal à l'aise tout au long de cette lecture, craignant deviner au fur et à mesure le déroulement de cette journée de noces, mais découvrant souvent des choses au-delà de ce que mon simple esprit pouvait imaginer. Pourtant, je ne pouvais pas non plus le laisser de côté et ne plus le reprendre : je devais connaitre la suite. C'est certainement là le génie de Romain Verger. La souffrance ressentie par le narrateur transpire à travers le texte et nous heurte de plein fouet. A côté de cela, l'écriture est très poétique, des phrases parfois longues qui nous miment la lenteur de cette descente aux enfers, un style relevé qui semble suivre le rythme du récit et contribue à rendre le lecteur comme prisonnier de ces pages, parce que c'est vraiment ainsi que je me suis sentie : une lectrice cloîtrée par un simple livre.

C'était une belle expérience de lecture, mais je ne sais pas pour l'instant si je retournerai vers cet auteur. Il va me falloir un peu de temps pour me détacher de cette histoire. Mais je ne regrette absolument pas cette lecture.

Livre lu dans le cadre de "La voie des indés 2013" sur Libfly et merci à l'éditeur : Le Vampire Actif


5 commentaires:

  1. Pas envie de lectures malsaines en ce moment. Je passe mon tour.

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    1. C'est vrai qu'il y a des moments où ça ne doit pas passer ...

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  2. Dérangeant oui ......mais si l atmosphère qui se dégage de cet ouvrage peut paraitre malsaine c'est uniquement en raison de la personnalité des personnages et de leur vécu.........de simple spectateur en début de lecture , on devient un témoin à part entière au fil des pages.......et comme le narrateur on ne sort pas indemne de cette aventure !!!! Ch.D

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    1. C'est tout à fait vrai ça, Anonyme ! On devient témoin, donc ça devient vraiment gênant. Témoins sans pouvoir faire quoi que ce soit, on ne peut que visualiser. Mais un peu comme un témoin qui ne pourrait fermer les yeux, on ne peut lâcher les pages.

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  3. Malsain, je ne sais pas... il ne se limite pas à cela ce texte et c'est ce qui en fait sa force justement. La capacité que Verger a à allier des thèmes dérangeants (qui ont à voir avec des mythes fondateurs de la littérature en plus) et une écriture poétique est peut-être ce qui déstabilise le plus... mais pour notre plus grand bonheur ! Isa

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Merci :)